Lire : Interview du Président de l'Observatoire International de la Laïcité


Jean-Michel Quillardet

Les revendications identitaires sont inquiétantes !

Dans une interview parue ce week-end dans Le Monde, Jean-Michel Quillardet, grand maître du Grand Orient de France de 2005 à 2008, actuellement président de l’Observatoire international de la laïcité, explique l’importance d’une telle institution face à des revendications identitaires inquiétantes. Cette structure a été créée en septembre 2008 pour « défendre et enseigner la laïcité et les principes républicains ». Selon ses promoteurs, l’Observatoire a aussi vocation « à fédérer l’ensemble des énergies laïques ».

Le projet de loi interdisant le port du voile intégral au nom de la défense de l’ordre public et du respect de la dignité est examiné à partir du mardi 6 juillet par les députés. Pour vous, cette tenue constitue-t-elle aussi une atteinte à la laïcité ? Si l’on s’en tient aux termes stricts de la définition de la laïcité, c’est-à-dire la séparation du temporel et du spirituel, alors non, le port du voile intégral n’est pas une atteinte à la laïcité. Mais si, comme nous le pensons au sein de l’Observatoire, on considère que la défense de la laïcité a un objet plus large, qu’elle inclut les atteintes aux principes de l’égalité républicaine et la lutte contre les visées communautaristes, alors là, effectivement, on se trouve face à l’application des principes de laïcité contre les dérives communautaires.

Le port de la burqa traduit incontestablement une volonté intégriste de certains musulmans de remettre en cause les valeurs qui fondent le pacte républicain et l’humanisme. C’est pour cette raison que l’Observatoire soutient le principe d’une loi, même si l’on sait que son applicabilité pose problème. Si la loi est votée et qu’elle est ensuite retoquée par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), ce serait une victoire pour les intégristes. C’est pour cette raison que je défends aussi l’éducation aux valeurs républicaines, à la liberté de la femme, à la laïcité. A cet égard, le texte de la résolution parlementaire était parfait, mais on a peu parlé de la résolution et on va beaucoup parler de la loi.

Au-delà du voile intégral, quels types d’atteinte à la laïcité avez-vous relevés depuis la création de l’Observatoire ? Un triple phénomène nous inquiète. Le plus récent concerne la « religiosisation » des problèmes de société. On nous répète : « L’Europe, la France ont des racines chrétiennes » ; « on ne peut pas donner du sens à l’existence sans une conception métaphysique des choses « . Ce discours est dangereux, car il oppose deux conceptions de l’homme. Or c’est celui du président de la République depuis son discours du Latran ; il est sorti, avec cette approche, de la tradition républicaine.

Je ne conteste pas que les religions ont un rôle à jouer dans la société et dans certains débats, mais il apparaît aujourd’hui que, dans la République dite laïque, on n’arrive pas à comprendre que d’autres pensées, l’athéisme, l’agnosticisme, le doute, sont nécessaires. D’une manière générale, il me semble que les religions prennent le pas sur la vocation laïque.

De plus, ce discours radicalise les positions : chez les religieux, notamment les musulmans, et chez ceux qu’il faut bien appeler les intégristes laïques. Ces derniers utilisent désormais la défense de la laïcité pour combattre « l’islamisation de la société », alors qu’ils manifestent en fait un racisme anti-arabe. C’est d’autant plus gênant que ces gens ne parlent jamais de laïcité face au christianisme ou au judaïsme, alors même qu’il existe des intégrismes dans toutes les religions. Nous dénonçons cette instrumentalisation politique du combat laïque par des groupes d’extrême droite et par les intégristes laïques.

Plus largement, les revendications identitaires et religieuses, notamment islamiques, sont inquiétantes, car elles remettent en cause l’unité républicaine. Nous pensons que l’islam est parfaitement compatible avec la République. Ce n’est pas l’islam qui pose problème. Le vrai problème est l’échec de la politique de la ville et de l’intégration. Dans les quartiers, on constate une déshérence sociale, une déstructuration citoyenne. Certains se retournent vers un islam politique, radical. Et l’on s’aperçoit incidemment que certains se considèrent « musulmans » avant d’être « citoyens ».

Face à ces évolutions, dans quel état est le camp laïc ? Les associations de défense de la laïcité sont pour certaines un peu anciennes, un peu vieillies, peu actives. Elles sont en outre plutôt axées sur la défense de la loi de 1905, la séparation des Églises et de l’État, l’anticléricalisme classique de la IIIe République.

Les obédiences maçonniques aussi défendent la laïcité, mais leur message est troublé par le fait que ce sont des obédiences maçonniques ! Enfin, face à l’islam, d’autres associations, dans la crainte d’apparaître racistes ou discriminatoires, se montrent parfois complaisantes à l’égard de manifestations ostentatoires.

Ainsi, la Halde a pris, selon nous, des décisions inquiétantes quant à l’application des principes de laïcité. Au nom de la lutte contre les discriminations, qui est parfaitement légitime, sa conception très ouverte de la laïcité oublie parfois le principe de neutralité de l’État, prenant le risque de faire passer le différentialisme avant ce qui permet de nous rassembler. A contrario, alors que la CEDH a parfois été mise en cause pour faire passer la liberté religieuse avant le principe de laïcité, la jurisprudence évolue et prend en compte la spécificité de chaque pays, notamment la tradition laïque ; c’est plutôt positif.

Dans ce contexte, l’Observatoire avait une place à prendre notamment sur la réflexion et le débat public. Face à la montée des communautarismes, à l’ethnicisation de la société, il faut aller au-delà de la défense de la loi de 1905. Notre conception de la laïcité n’est pas d’être « contre » les religions.

Le ministre de l’éducation a demandé aux responsables d’établissements privés de masquer les signes religieux durant les épreuves du baccalauréat. Cela relève-t-il de cet « intégrisme laïque » que vous évoquez ? Non. Cela ne me choque pas car ces établissements participent dans ce cas au service public. L’idéal serait de faire passer toutes les épreuves dans le public !

1 commentaire:

  1. J'aime assez l'esprit et le sens des réponses de J.-M. Quillardet. A mon avis, elles me semblent bien traduire l'humanisme laïque tel qu'il devrait être.
    Par contre, et sans vouloir le taxer d'habilité, il n'invite pas à se poser les vrais questions concernant la lente dérive de la laïcité dans notre pays due, pour une large part, à une forte complaisance de nos politiciens, toutes tendances confondues. C'est dommage...

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