Jacques Bouveresse - Professeur au Collège de France
Même s’ils ne sont pas légion, il y a encore des types bien qui refusent l’argent et les honneurs pour mettre leurs actes en conformité avec leurs convictions, des hommes d’exception.
Il y a eu d’abord le physicien Didier Chatenay et le généticien moléculaire François Bonhomme, deux têtes du troupeau des chercheurs qui n’ont pas accepté la prime - renouvelable- de 15 000 Euros pour «excellence scientifique» de leur bergère, parce qu’ils n’avaient pas envie que le métier d’enseignant chercheur se transforme en course à l’échalote comme le voudrait le gouvernement Sarkozy.
Dans leur sillage, une quarantaine de salariés du CNRS avaient renoncé à des gratifications sonnantes et trébuchantes pour bien faire comprendre que la science est avant tout un travail d’équipe…
Il y a maintenant Jacques Bouveresse, un professeur du Collège de France qui appartient à une espèce en voie d’extinction de philosophes méprisant les distinctions en tous genres : pour cet ancien élève de l’Ecole Normale supérieure, premier à l’agrég de philo en 1965, elles n’ont pas plus de prix que des médailles en chocolat si ceux qui les décernent piétinent les vraies valeurs, l’Education nationale en particulier, les services publics en général et tout le reste. Bouveresse a donc envoyé promener la ministre qui n’a toujours rien compris et voulait le décorer de la légion d’honneur.
Le titulaire de la chaire de « philosophie du langage et de la connaissance » n’a pas mâché ses mots en donnant les raisons pour lesquelles il ne peut être question en aucun cas pour lui « d’accepter l’honneur supposé» qui lui est fait. Du positivisme logique dans le texte. Où l’apprend que la dichotomie entre les faits et ses valeurs, heurte son empirisme.
Ci-dessous le courrier de M. Bouveresse à Me Pecresse, (ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche)
Madame la ministre,
Je viens d’apprendre avec étonnement par la rumeur publique et par la presse une nouvelle que m’a confirmée la lecture du Journal officiel du 14 juillet, à savoir que je figurais dans la liste des promus de la Légion d’honneur, sous la rubrique de votre ministère, avec le grade de chevalier.
Or non seulement je n’ai jamais sollicité de quelque façon que ce soit une distinction de cette sorte, mais j’ai au contraire fait savoir clairement, la première fois que la question s’est posée, il y a bien des années, et à nouveau peu de temps après avoir été élu au Collège de France, en 1995, que je ne souhaitais en aucun cas recevoir de distinctions de ce genre. Si j’avais été informé de vos intentions, j’aurais pu aisément vous préciser que je n’ai pas changé d’attitude sur ce point et que je souhaite plus que jamais que ma volonté soit respectée.
Il ne peut, dans ces conditions, être question en aucun cas pour moi d’accepter la distinction qui m’est proposée et – vous me pardonnerez, je l’espère, de vous le dire avec franchise – certainement encore moins d’un gouvernement comme celui auquel vous appartenez, dont tout me sépare radicalement et dont la politique adoptée à l’égard de l’Éducation nationale et de la question des services publics en général me semble particulièrement inacceptable.
J’ose espérer, par conséquent, que vous voudrez bien considérer cette lettre comme l’expression de mon refus ferme et définitif d’accepter l’honneur supposé qui m’est fait en l’occurrence et prendre les mesures nécessaires pour qu’il en soit tenu compte.
Jacques Bouveresse
(Source : Marianne 2)
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