A la conquête du bonheur

Le bonheur est dans la satisfaction la plus complète de nos
sens, dans l’utilisation la plus grande de nos organismes, le
développement le plus intégral de notre individu.
Nous le recherchons dans la béatitude céleste,
dans le repos de la retraite, dans la douce quiétude de la fortune.

Le bonheur que nous cherchons tant, nous le jouons tous les
jours sur des mots. Nous le perdons au nom de l’honneur de la
patrie, de l’honneur du nom, de l’honneur conjugal. Pour un
mot, un geste, nous prenons un fusil, une épée ou un revolver
et nous allons tendre nos poitrines vers un autre fusil, une
autre épée, un autre revolver, pour la patrie, la réputation, la
fidélité éternelle.

Nous cherchons le bonheur, et il suffit du rire d’une femme
(ou d’un homme, selon les sexes) pour qu’il soit de longtemps
chassé d’auprès de nous. Nous appuyons notre bonheur sur les
sables les plus mouvants, sur les terres les plus friables, le long
des océans, et nous crions quand il s’en va, emporté par le retour
de la vague ou par la mobilité du sol. Nous bâtissons des
châteaux de cartes que le moindre souffle peut détruire et nous
disons ensuite : « Le bonheur n’est pas de cette terre»

Non, le bonheur tel qu’on nous l’a montré, tel que des siècles
de servitude de corps et d’esprit nous l’ont fait percevoir,
n’existe pas. Mais il existe : c’est celui qui est fait de la plus
large satisfaction de nos sens à toute heure de notre vie.
Echafaudons la cité du bonheur, mais disons-nous bien qu’il
n’est possible de le faire que la place nette de tous les errements,
de tous les préjugés, de toutes les autres cités spirituelles
et morales qu’on a construites en son nom. Laissons à la porte
toute notre éducation, toutes nos idées actuelles sur les choses.

Abandonnons Dieu et son immensité, l’âme et son immortalité,
la patrie et son honneur, la famille et sa réputation, l’amour
et sa fidélité éternelle.

Albert Libertad, A la conquête du bonheur (25 octobre 1906)

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