Allah, marque déposée (extraits d'un article de Christopher Hitchens)

Un étudiant indonésien tenant le Coran Dadang

Au début de cette année, en Malaisie, des manifestations de haine ont éclaté après la sentence prononcée par le juge de la Haute Cour Lau Bee Lan sur l'appellation qu'il convient de donner au Seigneur. Des factions islamistes s'étaient plaintes que les chrétiens du pays utilisent le mot «Allah» dans leurs offices et leurs publications. En langue malaise, il se trouve que c'est le mot employé pour désigner Dieu, et les chrétiens auraient donc bien du mal à s'en passer.

La décision de la Cour était pour le moins restrictive: le journal Catholic Herald avait le droit d'utiliser le terme «Allah» dans son édition malaise, à condition d'être vendu «uniquement dans les églises et de porter la mention RÉSERVÉ AUX NON MUSULMANS.» Mais c'était encore trop d'indulgence aux yeux des islamistes. Plusieurs églises et institutions chrétiennes ont été incendiées et dégradées, et le gouvernement malais a publiquement déploré le jugement de la haute cour. Selon Associated Press, les autorités redoutent que «la synonymie du terme «Allah» et du terme «Dieu» sème le trouble dans l'esprit des musulmans et que cela les amène, de ce fait, à se convertir au christianisme.» Le danger semble pourtant contenu: la majorité des 2,5 millions de chrétiens de Malaisie appartient aux communautés chinoise ou indienne. Il y a donc une légère mais indéniable intention raciste de la part des islamistes malais quand ils exigent le monopole ethno-linguistique du mot divin.

Les faits sont révélateurs et inquiétants à plusieurs égards. Tout d'abord, cela se passe dans l'un des États musulmans réputé parmi les plus «modérés» du globe. Il est fort à craindre que ce type d'intolérance essaime en Indonésie voisine, dont la langue, très proche du malais, utilise également le terme «Allah» pour le «mot en D», et ce dans toutes les confessions. Les islamistes indonésiens pourraient ainsi renforcer la pression, déjà forte, qu'ils exercent sur la minorité chrétienne du pays, et ils disposeraient d'une nouvelle arme pour imposer l'islam par voie de charia.

Les propagandistes islamistes aiment à rassurer l'Occident candide en expliquant gentiment que tous, chrétiens, juifs et musulmans, nous louons le même Dieu. Nous sommes tous les enfants d'Abraham, et patati et patata. Nous sommes tous des «Peuples du Livre», et repatati et repatata. Mais s'il est vrai que le Coran s'inspire largement du Pentateuque et du Nouveau Testament, il n'en est pas moins vrai qu'on ne le considère généralement digne de foi que quand il est rédigé ou récité en arabe. Le sectarisme de certains, non dénué d'arrière-pensées racistes et nationalistes, démontre qu'au fond, les intégristes, loin d'être monothéistes, pensent qu'il existe plusieurs dieux et que le leur est naturellement le meilleur.

Cette révélation troublante n'est peut-être pas encore tombée dans l'oreille des djihadistes. Elle vient toutefois allonger la longue liste de conflits réels et potentiels qui découlent de l'infinité des sujets dont les fondamentalistes musulmans font leur miel pour se prétendre lésés, et pour prétendre à la violence. Qui eût cru qu'ils ne se rendraient pas compte, jusqu'à l'an dernier, qu'il existait des non musulmans parlant la même langue qu'eux? Qui eût prédit que dans les semaines suivant cette incroyable découverte, on retrouverait les mêmes foules hurlantes, les mêmes prédicateurs haineux et les mêmes immeubles en feu?

L'arabe est une langue magnifique, littéraire et poétique, dont les dérivés (tel le mot «algèbre») peuplent les dictionnaires occidentaux et, entre autres, les cartes d'Espagne (Alhambra, Alcázar, etc...). Les islamistes pourraient être flattés que dans certains pays d'Europe méditerranéenne et d'Asie, les chrétiens emploient le mot arabe pour désigner Dieu. (Ce qui doit également être le cas des athées du coin, qui ont besoin du mot pour affirmer résolument que Allah n'est pas grand et que, d'ailleurs, il n'existe pas.) Mais non, le sectarisme passe avant tout. Dans les salles de rédaction, les correcteurs devraient peut-être envisager de traduire systématiquement «Allah Akbar» par «Allah est grand,» et «Inch'allah» par «Si Allah le veut,» plutôt que par «Si Dieu le veut.» Cependant, si ces mesures linguistiques étaient adoptées, nul doute qu'elles provoqueraient là encore le même lot d'émeutes, d'incendies et de tueries.

Christopher Hitchens*
Traduit par Chloé Leleu

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